De film en film au FIFA : une infinité de routes
229 titres et 49 pays représentés. C’est un festival boulimique, gargantuesque – mais facile d’approche. Pour mieux appréhender la programmation de la 41e édition du festival, on vous propose un regard transversal sur quelques chemins à emprunter, dans l’œil du journaliste Philippe Couture en conversation avec notre directeur artistique Philippe U. del Drago
Film 1. La projection commence. Tiens, le comédien Mathieu Amalric est aussi à ses heures réalisateur de films sur l’art. Dans Zorn III (2018−2022), sa caméra intimiste entre doucement dans la salle de répétition où la soprano canadienne Barbara Hannigan s’approprie un morceau composé pour elle par le grand John Zorn. Exigence, passion, précision. Un regard inédit et sans prétention sur le travail de deux légendes. Simple, mais grandiose.

« Mathieu Amalric filme tout seul, depuis plusieurs années, ces artistes dont il est proche », explique Philippe U. del Drago. « Il était surpris qu’on veuille présenter son film en compétition, dans un événement tel que le FIFA. Pour lui, c’est une démarche toute simple, réalisée au fil du temps sans but précis. C’est bien ce qui en fait l’unicité et l’authenticité. »
Film 2. Un essai queer expérimental de Chantal Partamian, en arabe sous-titré en anglais, qui raconte l’amour, la liberté et l’identité.
Film 3. Un documentaire musical au style plus classique, sur l’œuvre du compositeur Xenakis.
Film 4. En compétition officielle, le long métrage inventif du célèbre chorégraphe et danseur, directeur émérite du ballet de l’Opéra de Paris, Benjamin Millepied qui offre une nouvelle lecture de Carmen de Prosper Mérimée.

LE FILM SUR L’ART, C’EST PARFOIS UN FILM QUI « DOCUMENTE » L’ART. MAIS C’EST AUSSI SOUVENT UN FILM QUI PREND L’ART COMME OBJET ET QUI S’AMUSE AVEC SES FRONTIÈRES ET SES CODES.
C’est ça, l’expérience du FIFA. On ne sait jamais ce qui nous attend. On goûte aux extrêmes, on fait des virages pas toujours contrôlés, on parcourt l’Asie, puis l’Europe, puis le monde arabe, à travers des formes inusitées. En 2023, plus que jamais. « Notre programmation propose autant de films classiques que singuliers, autant de grands noms internationaux et légendaires que de découvertes », assure le directeur artistique.
« Notre approche du film sur l’art est vraiment multiple et va souvent au-delà de ce à quoi les gens s’attendent, précise-t-il. Parmi le millier de films qu’on reçoit, il y a des tendances neuves et surprenantes, ou des films s’inscrivant dans des traditions dont les codes nous échappent. Au FIFA, on aime autant ces films-là, qu’il faut savoir recevoir avec nos sens sans trop se poser de questions, que les films plus universels de style documentaire immersif plongeant dans une pratique artistique millénaire. »
Le film sur l’art, c’est parfois un film qui « documente » l’art. Mais c’est aussi souvent un film qui prend l’art comme objet et qui s’amuse avec ses frontières et ses codes. Le spectre est immense. Le public est invité à butiner d’un monde à un autre. On vous suggère de prendre congé pour bouffer un maximum de films et étancher votre soif d’art sous toutes ses formes. Mais, on vous rassure, pour ceux à qui le temps manque : un seul film sera suffisant pour déplacer un peu vos perspectives et nourrir votre regard pour longtemps.
Y a‑t-il une ligne directrice dans ce festival ? À cette éternelle question, Philippe U. Del Drago répond : « il y a mille chemins différents à emprunter et nous essayons d’en suivre quelques-uns chaque année ».
LA PISTE CHAUVINE
La programmation du 41e FIFA contient 30% de films québécois. Oui, parce que le Québec, même si c’est peu connu, est une sorte d’eldorado du film sur l’art. On en produit beaucoup. On le fait bien. Nos films sont reconnus partout à l’international. « Ces films ne seront jamais vus à la télé, et peu projetés dans les cinémas d’ici. Certes, ils ont une vie de festivals, mais pas autant qu’ils le méritent, alors c’est notre devoir au FIFA de leur donner toute la gloire qui leur est due. », lance Philippe U. del Drago, convaincu et convaincant.
Suivre la piste québécoise, cette année, c’est par exemple replonger dans l’œuvre de Riopelle à travers les courts-métrages de cinq cinéastes à qui l’INIS a demandé de raconter le peintre et son travail d’une manière toute personnelle. Vous en voulez encore ? Le documentaire Les oies de Jean Paul Riopelle complète la soirée Projection Autour de Riopelle en retournant sur l’Île aux Oies, où le peintre a créé ses dernières œuvres et terminé ses jours.

Suivre la piste québécoise, c’est aussi découvrir une forme en vogue chez nous : le cinépoème. Merci à la revue EXIT, grâce à qui sont nées une dizaine de mises en image de poèmes québécois qui font claquer le verbe et résonner les métaphores. Mais ce n’est pas tout : en plus de EXIT/ Suite cinépoétique, le FIFA a réuni cinq autres films du genre sous le titre Ciné Poésie.
Autre forme dont les Québécois sont de grands maîtres ? Le film de danse. Aussi appelé « ciné-danse ». Pas étonnant quand on sait la vitalité de la danse contemporaine à Montréal et à Québec… mais aussi de plus en plus en Gaspésie ! Cette année, le FIFA consacre à ce genre en vogue toute une nuit de projections au Théâtre Outremont. On y verra des courts-métrages du monde entier, mais le Québec y est dominant, avec des films de Mélanie Demers et Jérémie Battaglia, de Axel Robin, de Louis-Martin Charest ou de Xavier Curnillon, entre autres. (Et, pssst, il y a aussi beaucoup de danse au FIFA, notamment un grand film sur Pina Bausch en compétition officielle, ne ratez pas ça).

Et, bien sûr, on voudra tous être là pour voir le premier film québécois réalisé par une intelligence artificielle : Propriété privée de Thomas Pison !
SUR LE CHEMIN DES PAYS « ÉMERGENTS »
C’est vrai, le FIFA a parfois dans son histoire été un festival très occidental, même assez eurocentré. Époque profondément révolue. Car le monde change et les cinéastes de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb et du Moyen-Orient, entre autres, réclament leurs regards et obtiennent enfin l’attention qui leur est due.
« À notre époque, ces artistes sont évidemment porteurs d’un regard acéré sur le néo-colonialisme, analyse Philippe U. del Drago. Et cette question, à travers les films du FIFA, est abordée en multiples teintes, et parfois de manière sous-jacente et subtile, à travers des approches uniques et personnelles. Il s’agit en tout cas de poser notre regard sur ce qui a été longtemps invisibilisé, et c’est toujours passionnant. »
Exemples ? La soirée Carte blanche à Badewa Ajibade propose 9 courts-métrages venus de la Namibie, du Ghana, d’Afrique du Sud, du Sénégal, du Ghana, du Nigeria, du Congo et du Rwanda.
C’est là aussi l’une des caractéristiques fondamentales de la programmation du FIFA sous l’égide de Philippe U. del Drago : la collaboration avec des programmateurs et curateurs d’ici et d’ailleurs, qui colorent le FIFA de leurs expertises en lui donnant une nouvelle profondeur de regard. À la sélection de Badewa Ajibade, un cinéaste nigérian-canadien, s’ajoute celle de l’Institut du monde arabe de Paris autour de films d’artistes de la LGBTQIA+, celle du programmateur sud-coréen Sanghoon Lee ainsi qu’une carte blanche consacrée au Maroc grâce à la commissaire indépendante Fatima Zahra-Lakrissa.

LA PISTE MUSICALE
C’est probablement la catégorie de « film sur l’art » qui a meilleure presse. Si vous êtes comme moi, vous avez vu BEAUCOUP de documentaires sur vos artistes musicaux préférés. Mais, au FIFA, ce genre canonique explose en une variété de formats étonnants.
En plus du film de Mathieu Amalric évoqué plus haut, on ne manquera pas To Stage the Music, un portrait du légendaire Heiner Goebbels, dans lequel il ouvre la porte de son appartement et se raconte en toute simplicité. Ou le documentaire Annie Lennox, de Eurythmics à l’engagement, itinéraire d’une icône pop. Voilà un titre qui dit tout.
SUR LA ROUTE DE LA COMPÉTITION
Dernier chemin et non le moindre à emprunter : celui des films en compétition au FIFA. Grands coups de cœur de la direction artistique du festival, ils ne laisseront personne indifférent et vont faire jaser.
Franchement, il faut les voir tous. « Mais personnellement j’ai hâte d’épier les conversations de couloir au sujet de Stinking Dawn, nous confie Philippe U. del Drago. Ce film des artistes autrichiens Liam Gillick et Gelatin se permet un point de vue incisif sur le monde de l’art, dans un décor monumental en fausse pierre. Je n’ai jamais rien vu de tel. »
On pourrait aussi suivre la piste de la photographie – une bonne dizaine de films s’y consacrent – ou encore celle de la mode – le FIFA aime beaucoup poser un œil artistique décalé sur cette industrie.
Et encore, nous n’avons balisé qu’un petit pourcentage du festival.