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L’identité culturelle à travers une vision autochtone – source d’inspiration pour UHU à la création artistique par Andrea Gonzalez et Stéphane Nepton

L’article est présenté en partenariat avec le Conseil des arts de Montréal

En prolongement de sa carte blanche à la 41e édition du Festival, coprésentée avec le Festival international Présence autochtone, le Conseil des arts de Montréal et Wapikoni mobile, Stéphane Nepton Andrea Gonzalez (travailleuse sociale et designer graphique) nous partage aujourd’hui un article proposant une réflexion sur la manière dont l’identité culturelle autochtone influence la création artistique, offrant des perspectives novatrices sur la transmission intergénérationnelle et l’utilisation des arts numériques pour redéfinir les notions de tradition et de contemporanéité.

Stéphane Nepton et Andrea Gonzalez sont à l’origine du projet autochtone Uhu qui encourage la persévérance scolaire, la transmission des savoirs autochtones et la santé culturelle par des ateliers d’arts numériques intergénérationnels.

Naomi Fontaine (Innu) : « Notre culture est notre boussole, elle nous guide dans la vie et nous rappelle qui nous sommes. »

L’identité culturelle, selon la perspective autochtone, se révèle être une source d’inspiration fondamentale pour la création artistique. Elle repose sur le langage, cet outil essentiel qui tisse des liens entre les individus, créant ainsi un tissu social et collectif qui se reflète en chacun de nous. Cela découle de nos expériences partagées, ces moments qui évoluent avec le temps et qui contribuent à façonner notre identité. Au cœur de cette réflexion, émergent des questions cruciales. Comment pouvons-nous laisser place à la découverte de nouvelles facettes de notre être, susceptibles d’enrichir nos créations artistiques ? Comment parvenir à transcender notre identité préexistante, celle qui nous a, à un moment donné, défini ? Et comment traiter les identités qui nous ont été imposées ?

L’identité culturelle n’est pas une donnée innée, mais plutôt le résultat d’une introspection personnelle et de la manière dont autrui nous perçoit, ce qui en fait un processus de construction fascinant et parfois déconcertant. C’est un voyage intrépide, tour à tour captivant et vertigineux, une quête jalonnée de découvertes, de guérison, de pardon et de renaissance. En fin de compte, qu’est-ce que signifie l’identité culturelle en relation avec l’art et la transmission intergénérationnelle ? 

L’art, en tant qu’expression créative émanant à la fois de l’individu et du collectif, joue un rôle crucial dans ce contexte d’identité culturelle. Quand nous évoquons la formation de liens à travers le langage et la façon dont nos expériences communes évoluent au fil du temps, l’art se présente comme un moyen puissant de communiquer, d’interpréter et de réfléchir sur ces expériences. Les artistes, qu’ils utilisent la peinture, la musique, la danse, la littérature, le cinéma, le numérique ou d’autres formes d’expression, créent des œuvres qui reflètent, façonnent et influencent l’identité collective. La création se révèle être une manifestation puissante de l’identité culturelle. Il est à la fois le reflet de nos expériences collectives et un médium qui les interroge. Elle contribue ainsi à façonner notre compréhension de qui nous sommes, en tant qu’individus et en tant que société. 

La création artistique offre un espace précieux pour explorer de nouvelles facettes de notre être, en encourageant l’expérimentation, la créativité et la réflexion. Les artistes ont souvent pour mission de remettre en question les normes préétablies, de déconstruire les identités imposées et de proposer de nouvelles perspectives. En conséquence, l’art nous invite à repenser notre propre identité, à la redéfinir à travers un prisme artistique. Une résistance se crée face aux identités qui nous sont imposées. Les artistes peuvent choisir de créer des œuvres qui remettent en question les stéréotypes, les préjugés, les conséquences du colonialisme ou les oppressions culturelles, créant ainsi un espace de libération et d’émancipation. Des mouvements artistiques tels que le surréalisme, le féminisme ou l’art contemporain ont souvent été des vecteurs d’affirmation de nouvelles identités, rejetant celles qui étaient traditionnellement attribuées. 

L’art joue un rôle central dans la transmission intergénérationnelle de l’identité culturelle et ce n’est pas différent dans les communautés autochtones. Il agit comme un vecteur puissant pour transmettre les valeurs, les traditions et les histoires d’une culture d’une génération à l’autre. Il s’agit souvent d’un moyen privilégié pour préserver les traditions culturelles.

L’art offre aux artistes autochtones un moyen de se reconnecter à leur patrimoine culturel, mais aussi de développer de nouvelles formes d’expression qui leur sont adaptées. La génération actuelle maîtrise le numérique, un canal qu’ils se sont approprié et avec lequel ilssont à l’aise pour échanger. Cela leur permet de créer et de communiquer d’une façon qui leur est propre. Cependant, comment cette technologie peut-elle être employée pour promouvoir et transmettre leurs cultures traditionnelles ? Le numérique peut-il devenir un véhicule pour faire évoluer les arts autochtones tout en côtoyant l’art dit plus traditionnel ? Les médiums d’hier pourraient-ils se métamorphoser avec le temps grâce aux nouvelles technologies ? Par exemple, un dessin numérique généré par l’intelligence artificielle en s’inspirant des œuvres du passé constituerait-il une nouvelle expression artistique dite traditionnelle ? À quel moment l’art traditionnel bascule-t-il du contemporain vers le patrimonial ? L’art numérique sera-t-il intégré à cette définition ?

Le collectif Uhu propose à travers ses ateliers appelés « organique / numérique » une exploration contemporaine des identités culturelles autochtones via de nouveaux médiums numériques. Nous proposons ainsi une expérience intime faisant le lien entre l’identité culturelle, la transmission des savoirs, la communauté et le territoire. 

Atelier Wawiesinahikan [why-é-sann-nikann]- cercle, rond, forme circulaire en Atikamekw. 

Uhu participe au camp Matakan, situé sur une des îles de l’immense lac Kempt, à quarante minutes en bateau de Manawan. Ce site accueille chaque année les jeunes de la communauté Atikamekw. Ils sont invités à passer plusieurs semaines sur ce site avec les aînés afin de susciter cette curiosité à l’égard de leur culture en étant en lien avec les gardiens des savoirs. Est ainsi possible cette e rencontre unique, favorisant la transmission intergénérationnelle, mêlant traditions, savoirs et culture. 

Un des exemples d’ateliers que nous y avons conçus et animés est la création de mandala Atikamekw numérique. Issu du sanskrit, le mandala représente un cercle symbolique reliant l’intériorité et l’extériorité. Les peuples autochtones des régions nord et sud-américaines ont utilisé le mandala de différentes façons : pour représenter une divinité ou l’univers, pour symboliser un cheminement spirituel, un état d’esprit ou même pour repousser les mauvais esprits, tel que le motif circulaire du capteur de rêves1.

Le cercle revêt une grande importance dans la culture autochtone en tant que symbole d’un cheminement circulaire vers la guérison, une méthode pour se soigner soi-même. Le mandala est également reconnu comme un outil thérapeutique, sa création et son analyse permettent de réduire le stress et l’anxiété en proposant une exploration personnelle à travers les formes et les couleurs.

Il s’agit en réalité d’un atelier de création de mandalas traditionnels revisités dans un format numérique. En donnant forme à ces symboles créés, imaginés et fabriqués par les Atikamekw grâce aux technologies d’aujourd’hui, le collectif Uhu explore de façon avant-gardiste la rencontre entre l’identité culturelle, le patrimoine matériel et immatériel, tout en frayant un dialogue respectueux entre traditions et innovations artistiques.

Photo 3

La première étape de ce processus créatif reprenant le symbole traditionnel du mandala consiste en une immersion au cœur de la forêt atikamekw sous forme de promenade et d’observation. Les participants ont été conviés à récolter différents éléments naturels tels que de l’écorce, des pierres, des feuilles, des champignons ou des fleurs, selon leurs intuitions du moment. Cette cueillette avait pour but de renouer les participants avec leur territoire ancestral de manière sensorielle et incarnée. En sollicitant le toucher, la vue ou l’odorat, cette imprégnation dans la nature environnante encourage un état de pleine conscience et de créativité. De retour au camp, tous les participants ont déposé sur la table leur récolte, échangeant ainsi leur fierté et leur étonnement de certaines de leurs trouvailles. Plusieurs d’entre eux ont transmis des anecdotes et des informations reliées à l’exploration du territoire. Ce fut un moment qui favorisa le partage, la transmission des savoirs et l’écoute.

La deuxième phase de l’atelier était de prendre les éléments recueillis et de les reproduire, à leur façon, sous forme d’illustration, à l’aide de médiums diversifiés. Les traits de crayons et le choix des médiums permettent d’exprimer des émotions complexes et profondes de manière inconsciente, offrant ainsi un moyen de communication alternatif mais surtout intuitif et ludique.

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À la dernière étape, les participants ont eu du plaisir à découvrir leurs dessins animés et diffusés dans une toute nouvelle forme artistique. En prenant une photo des illustrations et en la transférant dans un logiciel d’animation, nous avons converti l’illustration en création de kaléidoscope numérique. Nous avons eu accès à une panoplie d’options qui nous permettaient de modifier à notre guise le mandala numérique. Nous avons mis en valeur ces œuvres qui symbolisent la connection territoriale Atikamekw en projetant les mandalas sur un bâtiment du camp. Une valorisation identitaire sous les étoiles qui a vraiment pris tout son sens pour les participants.

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À la lumière de cette expérience, nous croyons que cette nouvelle forme d’art devient une forme d’inspiration puissante sous toutes ses formes. Comme les Premiers Peuples n’ont pas eu la possibilité en tant qu’individus et société de se construire sans les ravages de l’histoire coloniale, cette expression artistique leur a permis et leur permet de donner un nom à la culture, à l’identité et de la revendiquer, tout en déconstruisant les stéréotypes figés et romantiques longtemps perpétrés par les colonisateurs.

L’identité culturelle est une dynamique évolutive entre le passé, le présent et le futur. Cette mouvance entre trois temps donne sens à notre être et définit notre perception du monde. Nous ne sommes plus ce qu’on était, mais pas encore ce qu’on veut devenir. Il existe une diversité d’identités, chacune étant plurielle, hétérogène et métissée. Même si plusieurs individus s’identifient de façon différente, ils sont d’accord pour se regrouper sous une culture commune, peu importe leur parcours de réappropriation culturelle et identitaire, personnel ou communautaire.

Ce qui empêche l’amnésie historique et les effets profonds que cela peut avoir dans la vie d’un individu, c’est de pouvoir vivre une expérience avec une œuvre ou de prendre part à sa création, qui permet un terrain fertile à la recherche de reconnexion identitaire culturelle. En d’autres termes, les œuvres qui aident à se reconnecter à sa culture et à se souvenir de l’histoire sont importantes pour le développement personnel et pour la transmission identitaire culturelle aux générations futures.

L’art sous toutes ses formes servira à comprendre les visions du monde et les façons de penser et pourra même influencer les identités. Voilà pourquoi la transmission intergénérationnelle est un atout dans la construction identitaire. Elle est un moyen puissant de renforcer le lien entre les générations. Les aînés de la communauté peuvent partager leurs connaissances et leur expertise artistique avec les plus jeunes, favorisant ainsi la transmission de compétences et de connaissances spécifiques à la culture.

Un point de convergence entre l’identité à travers nous et la transmission intergénérationnelle des savoirs réside dans l’importance cruciale de l’histoire, tant personnelle que collective. L’identité culturelle se forme au fil des expériences de vie, des interactions avec l’environnement et de la compréhension de notre propre histoire. De même, la transmission des savoirs implique la narration d’histoires, le partage d’expériences et la communication de récits qui permettent aux générations futures de mieux comprendre leur origine et leur essence. L’Histoire et l’art, tout comme la transmission intergénérationnelle, sont des piliers fondamentaux de la construction et de la préservation de l’identité culturelle. L’histoire constitue la base de toute société, sur laquelle repose sa culture, et par conséquent, son identité. Comme l’a si justement déclaré le militant Marcus Garvey, « Un peuple qui ne connaît pas son passé, ses origines et sa culture ressemble à un arbre sans racines. »

Finalement, l’identité est un voyage continu, où nous effleurons la surface, explorons en profondeur et entrevoyons avec tendresse, tout en restant conscient que son essence reste énigmatique. Elle se transforme avec les saisons de la vie, jamais la même, mais fidèle à elle-même. Insaisissable, elle demeure un mystère humain constamment en quête de compréhension.

Andrea Gonzalez et Stéphane Nepton développent des concepts de transmission des savoirs autochtones par des ateliers d’arts numériques intergénérationnels depuis plusieurs années déjà. Leur parcours artistique se caractérise par une réaffirmation et une redécouverte de leurs origines, ce qui enrichit leur démarche artistique.

« Nous partageons des points communs très forts ensemble. Nous sommes tous les deux déracinés et enracinés, mi-chilienne, mi-italienne et membres des Premières Nations. Nous sommes aussi tous les deux à la recherche de nos identités respectives en constante évolution. »

Nous soulignons ici que les idées et réflexions présentées dans cet article reflètent la vision artistique et les pensées de l’auteur.

1. Mark, J. J. (2020, octobre 13). Mandala [Mandala]. (C. Martin, Traducteur). World History Encyclopedia. Extrait de https://​www​.world​his​to​ry​.org/t…